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Torrey Canyon – 18 mars 1967 : la mère des marées noires

Le 19 février 1967, le Torrey Canyon quitte la raffinerie d’Al Ahmadi au Koweit. Le supertanker se dirige en contournant l’Afrique du Sud vers Milford Haven au Pays de Galles, Royaume-Uni. Il transporte 120.000 t de pétrole brut. Construit en 1959 aux Etats-Unis par Newport News Shipbuilding, il a été jumboïsé en 1965 et rallongé de 247 à 297 m; sa capacité initiale de 60.000 t a été doublée. Il fait la fierté des armements pétroliers.
Le 18 mars 1967, le Torrey Canyon à la suite d’une erreur de navigation s’empale sur des récifs entre les îles Scilly (ex-Sorlingues) et les Cornouailles britanniques.
Deux mois après le naufrage, le bilan est lourd, 150 km de côtes polluées au Sud-Est de l’Angleterre. Des milliers d’oiseaux englués dérivent dans la mer de la Manche et atterrissent morts ou mourants de Calais à l’Ile d’Yeu. Le littoral est en deuil entre la presqu’île de La Hague et la pointe de la Bretagne. Les îles anglo-normandes sont en noir.
Pour la première fois, l’expression marée noire est à la une de la presse.

TC-bombed-RobindesboisBombardement du Torrey Canyon.

Après l’échouage, le gigantisme du Torrey Canyon est mis en cause.
50 ans après, la capacité moyenne des pétroliers transporteurs de brut est de 300.000 t.

Le Torrey Canyon du nom d’un puits de pétrole en Californie appartenait à la Barracuda Tanker Corporation domiciliée aux Bermudes. Il était affrété par l’Union Oil Company of California et sous-affrété pour ce voyage fatal par BP, British Petroleum. Il battait pavillon libérien et son équipage était italien. Quand, contre toute attente, la catastrophe anglaise est aussi devenue une catastrophe dans l’ouest de la France, Christian Fouchet, ministre de l’Intérieur, déclare que l’octroi de pavillons de complaisance est un défi aux règles du monde civilisé et assimile cette pratique émergente à de la piraterie.
50 ans après, 71% de la flotte marchande mondiale est sous pavillon de complaisance.

Fin mars 1967, confondant le Torrey Canyon avec le Scharnhorst ou le Bismarck, la Royal Air Force a largué sur l’épave des centaines de bombes incendiaires, des rockets au napalm et répandu sur la mer des tonnes de kérosène pour que le pétrole brut brûle et parte en fumée. Le raid a échoué. Le pompage des citernes aurait été possible selon les experts de l’époque.
50 ans après, la pratique a été abandonnée et les bombardements de stockage de pétrole sont réservés aux théâtres de guerre, ce qui est déjà trop.

Le Royaume-Uni a utilisé des dispersants chimiques en quantité (10.000 t) pour fragmenter, disperser et « évanouir » les nappes de pétrole brut. Cette pratique qui ajoute de la pollution à la pollution a été globalement abandonnée mais résiste cependant.
43 ans après, bis repetita, des dispersants chimiques toxiques pour la faune et la flore, l’aquaculture et l’ostréiculture ont été massivement utilisés pendant la marée noire de la plateforme Deepwater Horizon de BP, British Petroleum, dans le Golfe du Mexique.

La marée noire du Torrey Canyon s’est répandue dans un vide juridique sidérant. La communauté des Etats maritimes était focalisée sur l’invasion des plages par les boulettes de pétrole qui n’épargnaient pendant les vacances aucun pied et aucun enfant. L’esquisse du droit international et des réglementations nationales se concentrait sur les dégazages et les rejets en mer des résidus de lavage des citernes des pétroliers. Les naufrages, les collisions, les échouages n’étaient pas envisagés malgré quelques précédents révélateurs mais plus discrets. Le Torrey Canyon est aussi à l’origine des saisies des navires pour dédommager les pays victimes des pollutions par hydrocarbures. La France a fait procéder en juillet 1968 à la saisie à Rotterdam d’un autre pétrolier appartenant à la Barracuda Tanker Corporation pour obtenir une réparation partielle des frais engagés.
50 ans après, le cadre est renforcé par un ensemble de mesures nautiques comme les dispositifs obligatoires de séparation des trafics, juridiques comme l’affirmation et l’extension du droit d’intervention des Etats riverains, financières comme les Fonds internationaux d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL), internationales comme la convention MARPOL pour la prévention de la pollution marine par les navires et techniques comme l’obligation pour les pétroliers d’avoir une double coque.

Les déchets du Torrey Canyon ont été ramassés « à la chinoise », stockés à la va-vite, traités à la hussarde, exportés jusque dans la région parisienne par l’armée et enterrés dans les mémoires. C’est seulement entre septembre 2011 et février 2012 que sur l’île d’Er, près de Paimpol, des fosses à ciel ouvert creusées au printemps 1967 et contenant des déchets du Torrey Canyon ont été entièrement vidées. Les déchets ont été brûlés dans un incinérateur spécialisé près du Havre. En 2012, grâce à une coopération entre le Ministère de l’Ecologie, Robin des Bois et le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), tous les dépôts de déchets des marées noires historiques ont été répertoriés, géolocalisés et mémorisés dans les départements du Finistère et des Côtes d’Armor. Il y en a 188 (1).
33 ans après le Torrey Canyon, le naufrage de l’Erika a marqué une rupture dans la gestion des déchets des marées noires en Europe. Les dépôts ont été dès le début de la crise inventoriés. Les déchets ont ensuite été regroupés et traités à Donges dans l’estuaire de la Loire sous le contrôle des services de l’Etat et d’une Commission Locale d’Information et de Surveillance (CLIS) et sous la responsabilité technique et financière du propriétaire de la cargaison, la compagnie Total.

 

(1) BASIAS http://www.georisques.gouv.fr/dossiers/basias/residus-maree-noire [1]
et étude du BRGM https://robindesbois.org/wp-content/uploads/Synthese_Etude_Maree_Noire_2012.pdf [2]