Le teck : un tic colonial

28 avril 2006

S’il y a une habitude nostalgique ancrée dans les mœurs de l’Europe, c’est celle de se pavaner dans les parcs et jardinets, aux terrasses et aux balcons, dans des fauteuils et des bains de soleil en bois exotiques coupés dans des forêts lointaines et achetés dans des grandes et petites surfaces écumant le monde entier pour faire des profits éthiques et énormes, et faire tourner de méga-port en méga-port les porte-conteneurs de 350 m de long. Au premier rang des bois de là-bas, il y a le must du teck qui sent bon les paquebots et les éléphants d’antan. Il n’y a rien de mieux que ce petit bout du passé, même de mauvaise qualité, pour discuter, entre amis, du développement durable.
Même les Mousquetaires saluent dans leur dernier ouvrage sur les mobiliers de jardin [édition 2006] ” le succès phénoménal depuis une dizaine d’années du style colonial en teck importé des Indes Britanniques” et ” son exotisme à portée de main “. Un exotisme sanguinaire. Le teck d’Intermarché est originaire de Birmanie, internationalement connu pour son esprit d’ouverture aux pratiques de respect des prix Nobel de la Paix et de l’environnement, de gestion forestière et de transparence financière.
Le solde du teck vendu en grande et en petite distribution provient d’Indonésie où les forêts primaires et les plantations hollandaises du 19ème siècle sont surexploitées au détriment des communautés villageoises par un organisme d’état, Perum Perhutani, dont les compétences en reforestation, en contrôle de la contrebande et d’abattage illégal de grumes de teck et d’autres essences menacées sont dénoncées à l’intérieur du pays et au dehors.

Le teck d’aujourd’hui est globalement décevant au regard des qualités traditionnelles qu’on lui prête. Il provient, sauf exception, de plantations à très courte rotation, 15 à 25 ans, à comparer au teck séculaire des années 1900. Dès l’an 2000, Bois et Tropiques, revue française professionnelle, remarquait que la multiplication des produits en teck dopée par les campagnes publicitaires risquait de déstabiliser le marché et d’inciter à l’exploitation de tecks de plus en plus jeunes, de plus en plus chers et de moins en moins résistants.

L’avenir du teck, des fonds de pension américains, des investisseurs hollandais et des instituts de recherches agronomiques le voient spéculatif, au Panama ou au Brésil ; dans des plantations, à côté du soja, à coup de clonages et d’insecticides chimiques pour prévenir les attaques du Hyblaea puera, le défoliateur envahissant du teck de sylviculture. D’autres experts lui prédisent un avenir sombre et en effet l’effondrement des prix en même temps que l’effondrement de la qualité.
En avril 2002, Robin des Bois a initié en France et en Europe le boycott du teck puis a conclu avec Carrefour un accord sur le teck. Aujourd’hui, après une réduction progressive de l’offre, la plus grande chaîne de distribution française ne vend plus de teck ; elle l’a remplacé par une essence présente en Bolivie, le roble, ou Amburana cearensis, qui présente de bonnes qualités de meubles de plein air et dont nous avons constaté sur place en 2003 les conditions satisfaisantes d’exploitation, et de transformation tant au point de vue social qu’environnemental. L’année prochaine, Carrefour et ses filiales ne vendront plus de meubles en bois qui ne seraient pas accrédités par les labels les plus fiables à défaut d’être infaillibles. De même, Carrefour va répartir son offre mobilier d’extérieur en bois sur d’autres essences dans la perspective à long terme d’une stratégie de préservation de la biodiversité. Il faut éviter que l’Amburana d’Amérique du sud subisse demain le même sort que le teck d’Asie aujourd’hui.
Il est temps aussi que tout un chacun intègre que, pour participer à la protection de la biodiversité, d’autres matériaux que le bois sont disponibles et préférables pour les mobiliers d’extérieur : céramiques, métal et textiles, fer forgé, et les matériaux synthétiques produits dans des pays soucieux de la protection de l’environnement à la condition qu’en fin de vie une collecte et un recyclage spécifique soient disponibles ou envisagés.

 

Liste non exhaustive des vendeurs de meubles en teck : Art Decozen ; Auchan ; Boutique Dakoun ; Castorama ; Cèdre rouge (le) ; Compagnie des Bois et Meubles ; Cdiscount ; Déco (la) ; Delbard ; Destock Meubles ; Destockoutils ; Géant ; Habitat ; Hutte (la) ; Ikanis ; Intermarché ; Jardin de Catherine (le) ; Lapeyre ; Leroy Merlin ; Maison Coloniale (la) ; Maison de Valérie (la) ; Maison du Monde (la) ; Marchands du design (les) ; Oasis Teck (l’) ; Piscinecash ; Point P ; Royal Arrow ; Saint-Maclou ; Tek Import ; Truffaut ; Unopiu.

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