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La croisière de masse va droit dans le mur

Costa Concordia – Communiqué n°5

 

Le renflouement du Costa Concordia devait avoir lieu fin 2012 et son remorquage vers un port de démolition (ou une fosse sous-marine d’immersion ?) en janvier 2013. Le scénario du consortium italo-américain (Titan Salvage/Micoperi) était estimé à 300 millions de dollars. Le tournage se complique, le budget s’allonge, les délais aussi. Le granit résiste aux forages de la plate-forme de rétablissement de l’épave. Les metteurs en scène et les autorités italiennes parlent maintenant d’un retrait en 2014. Pendant ce temps, l’épave sur les rochers travaille sous la pression de la mer à l’extérieur et de 100.000 tonnes d’eaux polluées à l’intérieur. Les risques de dislocation augmentent. Dans l’hypothèse où le renflouement irait à son terme, deux points clés restent à clarifier : 1. Les modalités de traitement des eaux et des déchets à l’intérieur de l’épave, 2. La destination de l’épave. L’Italie est nulle dans le démantèlement des navires. Le Costa Allegra est parti à la casse en Turquie (1). Le ferry roulier Repubblica di Amalfi de Grimaldi Lines vient d’être échoué pour démolition en Inde. 37 navires appartenant à des intérêts italiens, tels Ignazio Messina, Stradeblu, BM Shipping ou SNAV, sont partis à la casse en 2012. Aucun n’a été démantelé en Italie : 19 sont partis en Inde, 10 en Turquie, et 7 au Bangladesh.

Pour rassurer la clientèle, les croisiéristes se sont regroupés pour parler d’une seule voix et ont annoncé un certain nombre de mesures révolutionnaires : à terme augmenter de 30% le nombre de gilets de sauvetage, ne plus considérer les postes de commandement comme des salons de cocktail et de convivialité pendant les séquences de navigation réclamant une vigilance accrue, préparer en amont de chaque départ un plan de navigation approuvé par la compagnie, le commandant et connu de tous les officiers.

L’Organisation Maritime Internationale (OMI) a entériné au mois de décembre 2012 les initiatives des industriels de la croisière et adopté un projet d’amendement qui pourrait entrer en vigueur à la fin de l’année 2014 sur l’obligation d’organiser des exercices de regroupement et d’appropriation des consignes d’urgence dès l’embarquement des passagers.

Pour rallier les hésitants, les croisiéristes ont décidé d’appliquer immédiatement la réglementation existante, en particulier les règles 8, 19 et 27 du chapitre 3 de la Convention SOLAS portant sur les consignes de rassemblement en cas de situation critique, sur l’enregistrement à terre du nombre, de l’identité des passagers et sur la prise en compte de leurs besoins de soins et d’assistance en situation d’urgence.

Le retour d’expérience de la catastrophe du Costa Concordia est pour le moment très faible. Les recommandations de l’Allemagne sur la planification des évacuations à bord des navires à passagers de « grandes dimensions » et sur les éventuelles modifications de la conception de ces navires n’ont pas été à ce jour examinées. L’Allemagne pose le problème des navires de « grandes dimensions » depuis 2002 « afin d’éviter de perpétuer les pratiques habituelles de l’OMI, à savoir engager une fois de plus les débats sur la sécurité chaque fois qu’un accident se produit.»
Les inquiétudes du Danemark sur la navigation des navires de croisière analogues au Costa Concordia n’ont pas non plus trouvé d’écho immédiat. Le Danemark souligne que les navires de croisière non renforcés pour la navigation dans les eaux polaires et transportant plus de 1.000 passagers sont en augmentation dans les eaux du Groenland et en Arctique (2) sans même que des cartes électroniques de navigation soient disponibles ; « Le froid et l’hostilité de l’environnement auront vraisemblablement des conséquences mortelles en l’absence d’une assistance extérieure suffisante ». Le recueil de l’OMI sur la navigation polaire des navires à passagers a pris deux ans de retard et ne sera pas disponible avant 2014.
La délégation des Etats-Unis à l’OMI soulève elle aussi des questions sans réponse sur la stabilité des navires de croisière après les échouages et les collisions, sur la capacité des équipages à communiquer avec les passagers dans une situation critique et sur la faisabilité d’une évacuation rapide en cas d’abandon du navire.

Cela n’a pas empêché l’armateur américain Royal Carribean Cruise de commander aux chantiers de Saint-Nazaire un nouveau Gigantic capable de transporter et d’exposer à des risques non maitrisés plus de 8000 personnes.

Les mesures post Concordia les plus sérieuses et dissuasives viennent du Mémorandum de Paris. Regroupant les pays de l’Union Européenne, le Canada, la Croatie, la Russie, l’Islande, la Norvège, cette institution considère comme une action prioritaire tout au long de l’année 2013 l’inspection des navires de croisière. Le programme HAVEP (Harmonized Verification Programme on Passengers Ships) vérifiera dans les ports des Etats concernés l’application de toutes les procédures réglementaires sur les alertes incendie, le regroupement des passagers, la disponibilité des sources auxiliaires d’énergie, le fonctionnement des portes étanches facilitant la stabilité du navire, l’évacuation et l’abandon des navires accidentés. Au début de l’inspection, le commandant devra fournir la documentation sur le déroulement des exercices d’alerte précédents et sur l’entraînement des équipages. La simulation d’accident se terminera par le largage des embarcations de sauvetage. En cas de non-conformités graves, le navire pourra être retenu à quai.

(1) Voir page 23, A la Casse.com n°29, bulletin d’information et d’analyses sur les navires en fin de vie. Octobre 2012 (pdf -5,14 Mo). [1]
(2) Voir nos précédents communiqués :
Alerte en Arctique, communiqué du 25 juillet 2012 [2]
Deux paquebots en préretraite à Marseille, communiqué du 19 septembre 2012 [3]